Veille et analyses de l'ifé

Entre recherches et pratiques

   Vous êtes ici : Accueil » Actualités des thèses » Détails de la thèse

Pays : France       Langue(s) : français 

The Discipline of Historians. A comparative study of Historians'constructions of the discipline of History in English, French and Norwegian Universities


Auteur(s) :  MANGSET Marte

Date de soutenance :  2009

Thèse délivrée par :  Sciences Po Paris (IEP)

Section(s) CNU :  NSP

Discipline(s) :  Sciences politiques

Sous la direction de :  Christine MUSSELIN & Olav KORSNES

Jury de thèse :  NILSEN Ann, SOYSAL Yasmin, VAN ZANTEN Agnès, ROTHBLATT Sheldon

  « La discipline des historiens
Une étude comparée : France, Norvège, Angleterre

Qu’est-ce qu’une discipline ? En étudiant la discipline de l’histoire, je cherche dans cette thèse à mieux comprendre cette discipline en particulier, et les disciplines académiques en général. Fondée sur des entretiens avec des historiens dans des universités anglaises, françaises et norvégiennes, sur comment ceux-ci définissent leurs connaissances et savoir-faire disciplinaires, je compare des conceptions d’une discipline entre plusieurs institutions et entre plusieurs pays, et j’ouvre une discussion sur la relation entre une discipline et son contexte.

Le processus de Bologne et d’autres réformes récentes ont tenté de transformer les programmes d’étude dans les universités européennes. Les réformateurs disent qu’ils cherchent à améliorer la qualité des diplômes, de les rendre plus professionnalisants et de faciliter la mobilité étudiante internationale. Les universitaires ont souvent exhibé une certaine résistance par rapport à ces réformes : ils ont soutenu que ces transformations structurelles harmonisant les cursus ignorent la diversité des disciplines, et qu’elles menacent leur discipline en particulier. Ces réformes ont aussi créé des débats parmi les historiens dans les universités anglaises, françaises et norvégiennes sur comment l’histoire devrait être enseignée, sur le rythme et le mode d’organisation de la formation d’historien et de la recherche en histoire. Ceci évoque un débat, au moins implicite, sur le lien entre la structure et le contenu de la formation disciplinaire.

Quand j’ai interviewé des historiens dans les trois pays, ils ont généralement soutenu que l’histoire doit être enseignée d’une certaine manière qui émanerait logiquement de la ‘nature’ de la discipline. Cependant, les historiens ont promu des modes d’organisation, d’enseignement et d’évaluation divergents, et ils ont également exprimé des conceptions de la discipline de l’histoire marquées par certaines divergences. Ceci signale la nécessité de questionner les conceptions universalistes et essentialistes de ce qu’est une discipline, et d’examiner de plus près la relation entre structure et contenu, entre pratiques et connaissances, entre une discipline et son contexte. Comment peut-on qualifier ce genre de variations à l’intérieur d’une même discipline ? Qu’est-ce que cela nous apprend sur le caractère des disciplines et sur leur relation avec leur contexte ?

Les chercheurs dans le domaine des higher education studies ont bien documenté les variations dans les pratiques et connaissances académiques entre disciplines, entre institutions et entre pays. Toutefois, ils ont souvent mis l’attention sur les aspects organisationnels, laissant de côté le contenu des connaissances pour les chercheurs dans le domaine des sciences studies. Ces derniers, malgré leurs contributions importantes en terme de perspectives sur la connaissance et sa relation avec le contexte, ont pourtant souvent négligé les sciences humaines, les éléments pédagogiques du monde académique et les comparaisons internationales. Dans cette thèse je vais combiner des perspectives de ces deux domaines de recherche afin de mieux saisir les connaissances disciplinaires. De plus, j’ai inclus des outils de comparaison développés par des sociologues des relations professionnelles, afin de mieux comprendre les variations entre institutions et entre pays à l’intérieur d’une même discipline. En combinant des perspectives de ces domaines d’étude j’étudie les similarités et les variations entre conceptions disciplinaires exprimées par 59 historiens de six universités en Angleterre, France et Norvège. Ensuite, sur la base de ces entretiens ainsi que de certains entretiens complémentaires, sur de la littérature et des documents, c’est une étude de la relation entre les conceptions disciplinaires dévoilées dans ces entretiens et le contexte dans lequel ces conceptions sont développés.

J’ai organisé la thèse en trois parties qui chacune représente une étape dans l’analyse de la discipline de l’histoire : la première partie (chapitre 1 et 2) est une tentative de recadrer et de reformuler la question « Qu’est-ce qu’une discipline ? ». Je le fais à travers une discussion de perspectives analytiques et méthodologiques et en situant ma propre position parmi ces approches.

Dans le premier chapitre, je présente des raisons empiriques et analytiques d’étudier une discipline des humanités à travers l’étude de sa formation disciplinaire dans plusieurs établissements et plusieurs pays. Ensuite, je présente et discute les perspectives de chercheurs clés dans le domaine des higher education studies, Tony Becher et Burton R. Clark, et de figures centrales dans le domaine de sciences studies, Karin Knorr-Cetina et Steven Shapin. Ces quatre chercheurs s’intéressent tous à la comparaison de connaissances et de pratiques académiques et nous éclaircissent sur les disciplines et leur rôle dans la vie académique. Néanmoins, Shapin prétend qu’il est nécessaire d’étudier le savoir avec des perspectives comparatives et socio-historiques. Ces approches sont peu exploitées dans les domaines des higher education studies et de la sociologie de la connaissance. Il soutient que cela est nécessaire si on veut saisir le caractère du savoir académique et ses relations avec son contexte. C’est pourquoi je me suis inspirée de la sociologie historique, relationnelle et comparatiste que Marc Maurice et ses collègues ont développée dans le domaine de la sociologie du travail, afin de mieux comprendre les disciplines. Dans le deuxième chapitre je présente les aspects plus concrets de mon approche méthodologique ainsi que les détails des données empiriques sur lesquelles cette thèse est fondée.
Dans la deuxième partie (chapitre 3 et 4), j’analyse les données des entretiens menés pour cette enquête. Le chapitre 3 présente les réformes des diplômes et cursus lancées en histoire en Angleterre, France et Norvège. A partir des entretiens et de documents complémentaires j’analyse comment les historiens ont répondu aux changements requis par les réformes. J’examine comment les historiens se présentent en tant qu’enthousiastes ou réticents aux réformes. Ceci s’avère lié à la conception de la discipline de l’histoire qu’ils expriment, et à à mz fzçon dont ils considèrent que les réformes soutiennent ou menacent cette conception. L’analyse des réactions aux réformes dévoile donc comment les conceptions disciplinaires des historiens divergent.
Le chapitre 4 poursuit ce fil et analyse plus en détail les contenus des conceptions disciplinaires des interviewés. L’analyse des entretiens dévoile des similarités et divergences entre différentes descriptions d’éléments disciplinaires qui peuvent être regroupés systématiquement. En caractérisant ces regroupements d’éléments disciplinaires je construis trois dimensions selon lesquelles j’analyse les conceptions disciplinaires : les pratiques de recherche, le travail de délimitation (boundary work) et la distinction disciplinaire. Je discute ces dimensions, construites de manière inductive, par rapport aux critères de caractérisation et de catégorisation définis par Tony Becher et discuté dans le premier chapitre. Alors que les regroupements de similarités et de divergences parmi les conceptions disciplinaires des historiens sont structurés selon des lignes nationales, une investigation supplémentaire de la question de pourquoi cette dimension nationale est si clairement perceptible dans les entretiens est nécessaire. Il est aussi vital d’examiner de plus près le caractère de cette dimension nationale au sens empirique et analytique.

La troisième partie de cette thèse présente des reconstructions historico-sociologiques de la discipline de l’histoire dans chacun des trois pays. Les chapitres 5, 6 et 7 sont des études historico-sociologiques de la discipline en Angleterre, en France et en Norvège respectivement. A partir des indications trouvées dans les entretiens, j’ai choisi d’analyser plus en détail certaines périodes historiques et certains aspects de la société qui se sont distingués comme ayant joué un rôle important dans le développement de la discipline. J’étudie la première période d’institutionnalisation de la discipline au dix-neuvième siècle, le paysage d’établissements d’enseignement supérieur de cette période et quelques débats clés, sur la discipline et sur l’éducation, qui ont structuré le développement de la discipline dans chaque pays. Ensuite, j’étudie comment la massification de l’enseignement supérieur de la période d’après-guerre a influencé ce paysage d’établissements d’enseignement supérieur dans chaque pays. J’étudie aussi la relation entre ces processus de massification et le développement de la discipline. Ensuite, la relation entre la discipline et le marché de travail pour les diplômés en histoire est un élément du contexte crucial afin de comprendre les constructions multiples de la discipline de l’histoire. Alors que différentes périodes historiques et différents éléments de la société ont joué les rôles clé dans le développement disciplinaire dans chaque pays, le centre d’intérêt, la complexité et la longueur varient entre ces trois chapitres.

Comme je le montre à travers la présentation de débats éducationnels et disciplinaires dans ces trois chapitres, la conception de la connaissance en tant qu’encastrée dans son contexte n’implique pas qu’une discipline est déterminée par son contexte. Plutôt, les acteurs construisent activement, à travers leurs pratiques et leurs débats et en relation avec leur contexte, certaines conceptions disciplinaires. Alors que ces conceptions disciplinaires trouvent leur sens seulement en relation avec leur contexte, c’est notre travail, en tant que sociologues de la connaissance, de mener de telles reconstructions historico-sociologiques de l’objet de recherche. Dans cette thèse j’ai commencé par poser la question : Qu’est-ce qu’une discipline ? Les discussions analytiques et méthodologiques, l’examen détaillé des entretiens et les études historico-sociologiques de la discipline de l’histoire dans chacun des trois pays, montrent que ce sont les conceptions disciplinaires – historiquement et géographiquement situées – qui constituent une discipline. »


mot(s) clé(s) :  comparaison internationale, didactiques disciplinaires, enseignement supérieur, humanités