À partir de points de vue interdisciplinaires, multiréférencés et intercatégoriels, et à travers une reconnaissance intersubjective des expertises des praticien.nes, des formateur.ices et des chercheur.es, cette rencontre souhaite questionner les enjeux, finalités, défis et conditions d’une action pédagogique militante en vue d’une éducation au politique, au sein de communautés éducatives diverses.

Plusieurs philosophes et analystes de nos sociétés démocratiques contemporaines ont éprouvé le besoin, par-delà leurs divergences internes, de faire fond d’une distinction entre le politique et la politique (voir par exemple, sans exhaustivité, Gauchet, 2005 ; Lefort, 1986/2001, 1992 ; Rancière, 2004...). Alors que le politique (the political) rassemblerait l’ensemble des principes et symboles définissant les relations entre les humains d’une société et fournissant une représentation du pouvoir et de la gouvernance, la politique (policy ou politics) concernerait un ensemble de pratiques et d’institutions qui établissent un pouvoir d’action en société, un « ordre organisant la coexistence humaine dans des conditions qui seront toujours conflictuelles » (Mouffe, 2003, p. 148). Le politique permettrait donc de comprendre le collectif, la mise en forme de la société et ses modes de vie, alors que la politique ferait référence à une activité explicite de lutte pour le pouvoir dans cette même société.

Dans ce sillage réflexif, des définitions de l’éducation au politique émergent ces dernières années dans le champ de la recherche en éducation et formation, sur le même principe heuristique (Fabre, 2022 ; Barthes, 2022 ; Barthes et al., 2022). Il s’agit souvent d’y problématiser le projet démocratique et la place des institutions éducatives dans le récit d’un progrès social démocratique porté par l'éducation, ou encore de faire valoir une volonté d’éducation à la citoyenneté à travers un transfert vers les systèmes éducatifs d’enjeux de politiques publiques (Smeyers et Depaepe, 2008) et la pédagogisation des questions politiquement sensibles (Thiel, 1997 ; Urgelli, 2023).

Dans ce projet éducatif, la question de la (dé)politisation des pratiques éducatives mais également des formes de participation des apprenant.es (Fortin-Debart et Girault, 2009) et des apprentissages d’habitudes politiques se pose aux pédagogues, éducateur.ices, formateur.ices et chercheur.es. La problématisation générale qui émerge alors est la suivante : entre une éducation d’apparence apolitique et une éducation politique en démocratie (Roelens, 2022), entre réflexion, action et praxis (Fabre, 2017), quelle(s) forme(s) peut prendre un projet d’éducation au politique dans les sociétés démocratiques contemporaines ?

Plus précisément, lors de la pédagogisation de questions politiquement sensibles, comme celles des discriminations sociales et de l’inclusion, des engagements pour l’environnement, la santé, la biodiversité, et des différentes formes de développement soutenable et désirable, les finalités déclarées et les pratiques proposées par les pédagogues peuvent rendre plus ou moins visibles des positions militantes et des approches partiales, donc des postures (Kelly, 1986 ; Maxwell, 2023 ; Urgelli, 2023) face à des publics que l’on suppose parfois déficitaires

en termes d’habitudes démocratiques et de compréhension de la complexité du politique qui anime le social. Quelle(s) posture(s), légitimité(s) et risque(s) éducatif(s) prennent les éducateur.ices qui voudraient mettre en place des approches pédagogiques politiquement engagées, visant à minima la conscientisation des rapports sociaux de domination et de discrimination qui structurent les réalités sociales ?

Dans des univers d’éducation divers qui rassemblent des communautés scolaires et périscolaires, les praticien.nes assument plus ou moins ouvertement le militantisme de leurs pratiques. S’il est illusoire de considérer qu’il existerait des pédagogies non militantes, tout choix pédagogique ayant des implications politiques, et même si tou.te pédagogue défend l’idée d’une visée émancipatrice de son action, plusieurs modèles politiques d’éducation (Meuret, 2007) se déploient, entre conformisme et idéal de transformation sociale (Fabre, 2013). Si les communautés éducatives scolaires et périscolaires peuvent contribuer à l’apprentissage d’habitudes politiques, peuvent-elles seules contribuer à transformer l’animation politique du social, sans prolongement dans d’autres espaces et institutions d’éducation ?

L’histoire centenaire de l'Éducation nouvelle rappelle d’ailleurs les tensions qui ont accompagné l’émergence de projets éducatifs visant le renouvellement des pratiques scolaires pour une éducation à la paix, tout en questionnant les limites de la forme scolaire (Vincent, 1994). À travers une éducation à la démocratie par l'expérience et l'enquête sociale pragmatique (Frelat-Kahn, 2013), certains de ces projets pédagogiques alternatifs (Wagnon, 2022 ; Leroy, 2022) s’apparentent à des formes activistes d’éducation au politique. Citons par exemple la pédagogie Freinet (Connac et al., 2019), la pédagogie institutionnelle (Oury et Vasquez, 2001), ou plus radicalement la pédagogie des opprimés (Freire, 1974). Dans le contexte international actuel, que sont devenues ces pédagogies politiquement engagées ? A propos de quelles questions politiquement sensibles se construisent-elles ? Quels savoirs, valeurs et pratiques mobilisent-elles ? Avec quelles représentations de l’éducation au politique en démocratie ? Quelles formes prennent actuellement les pédagogies qui se déclarent critiques et politiquement engagées pour la transformation sociale (De Cock et Pereira, 2020) ?

Finalement, en se référant aux 3 principes du projet démocratique de Frega (2020), à savoir la parité relationnelle, l’autorité inclusive et l’engagement social, les pédagogies d’éducation au politique supposent peut-être une politisation prudentielle des pratiques, en incitant les apprenants à aller au-delà de l’adhésion ou de la coopération symbolique dans des dispositifs participatifs (Dupuis-Déri, 2006). Mais quels sont les effets de ces dispositifs impliquant des communautés éducatives scolaires et/ou périscolaires sur l’engagement politique des apprenant.es ?