Du ludique au pédagogique : la scolarisation du jeu vidéo par les enseignants
Auteur(s) : VINCENT Romain
Date de soutenance : 2024
Thèse délivrée par : Université Paris 13
Section(s) CNU : section 70 : Sciences de l'éducation
Sous la direction de : Gilles BROUGÈRE & Vincent BERRY
Jury de thèse : Emmanuelle SAVIGNAC ; Anne BARRERE ; Julien NETTER ; Florence ELOY ; Vincent BERRY ; Gilles BROUGERE
" Depuis les politiques d’équipement des écoles françaises en matériel informatique instaurées dans les années 1970 et 1980, les jeux vidéo sont régulièrement présentés comme un vecteur d’innovation pédagogique. Les travaux sur leur introduction en salle de classe se concentrent sur l’efficacité du dispositif ludique en termes d’apprentissage et de motivation des élèves. Ces études omettent le plus souvent le rôle de l’enseignant, que ce soit dans la construction du jeu vidéo en tant qu’outil pédagogique ou lors de son utilisation concrète en classe. Comment les enseignants se saisissent-ils du jeu vidéo, un dispositif ludique prévu pour le divertissement et par ailleurs absent des programmes scolaires, afin de le transformer en outil pédagogique ? Cette thèse rend compte du processus de scolarisation du jeu vidéo par le biais d’une enquête de terrain reposant sur l’observation de dix-sept enseignants en situation, issus de différentes disciplines de l’enseignement secondaire français. Les résultats montrent que les enquêtés s’appuient sur leur propre culture ludique pour préparer leurs séances. Les ressources utilisées pour enseigner sont donc le reflet de l’éclectisme du répertoire culturel des enseignants mêlant des pratiques jugées légitimes et d’autres, comme le jeu vidéo, considérées comme illégitimes. Ils parviennent cependant à en valoriser l’intérêt culturel et éducatif tant dans le cadre de leur loisir que dans l’exercice de leur métier. Néanmoins, l’usage du jeu vidéo en classe n’est pas une simple transposition de sa pratique dans la sphère du divertissement : tout en adaptant le jeu vidéo aux objectifs du programme scolaire, les enquêtés souhaitent répondre aux difficultés rencontrées dans l’exercice de leur métier, comme lutter contre la routine professionnelle, susciter l’intérêt des élèves et construire un climat scolaire agréable. Scolariser les jeux vidéo contribue également à la construction d’un style pédagogique propre et d’une réputation au sein de leur établissement. L’observation de leurs cours permet ensuite de remettre en question les termes de gamification ou de ludification qui peinent parfois à saisir la réalité des pratiques en situation. En effet, afin de scolariser les jeux vidéo, les enquêtés contrôlent l’activité ludique des élèves : pour mettre à distance les pratiques ludiques juvéniles et atteindre leurs objectifs pédagogiques, les enquêtés interviennent directement dans la pratique du jeu, en prenant par exemple en charge l’apprentissage des règles, en réduisant les possibilités d’action des élèves et en ajoutant un travail écrit. Cette pédagogie du contrôle varie néanmoins en fonction des contextes d’enseignement, des disciplines et du style pédagogique des enquêtés. En décrivant concrètement les différentes pratiques pédagogiques mobilisant le jeu vidéo, cette enquête met en évidence les tensions entre l’activité ludique et les objectifs éducatifs. Par ailleurs, elle dépasse la seule question du jeu vidéo et interroge la scolarisation des pratiques culturelles. À l’instar du cinéma, de la musique ou des séries télévisées, le jeu vidéo est souvent mobilisé pour tenter de faciliter la transmission des connaissances du programme. Dans d’autres cas, il est étudié comme une œuvre culturelle et artistique sollicitant chez les élèves des dispositions savantes et esthétiques. Cette perspective permet d’aborder les réceptions différenciées que peuvent en faire les élèves en fonction de leur propre culture ludique, de leur niveau scolaire et du contexte social de l’établissement. L’usage du jeu vidéo en classe témoigne ainsi de l’évolution et de la complexification du métier d’enseignant, mais également de celles des tâches scolaires demandées aux élèves. En cela, cette recherche a pour ambition de nuancer, voire de dépasser, les discours médiatiques, institutionnels et industriels sur le potentiel éducatif des jeux vidéo. "
From playing to teaching: the schoolification of video games
" Since the computer hardware policies introduced into French schools in the 1970s and 1980s, video games have regularly been presented as a vector for teaching innovation. Studies on the introduction of video games into the classroom focus on the effectiveness of the ludic device in terms of student’s learning and motivation. These studies usually overlook the role of the teacher, both in the construction of the video game as a pedagogical tool and its actual use in class. How do teachers transform video games, which are intended for entertainment purposes and not included in school curriculum, into a learning tool? This thesis reports on the process of using video games in class through a field study based on the observation of seventeen teachers of different subjects in French secondary schools. The results show that the teachers draw on their own culture of video games to prepare their class content. The resources used to teach therefore reflect the eclecticism of the teachers’ cultural repertoire, mixing practices considered legitimate with others, such as video games, which are considered illegitimate. They do, however, manage to highlight the cultural and educational value of video games both as a hobby and in the context of their work. However, the use of video game in class is not merely a transposition into the sphere of entertainment: while adapting video games to the objectives of the school syllabus, the teachers wish to respond to the difficulties encountered within the scope of their work, such as avoiding professional routine, arousing the interest of students and building a pleasant school environment. Using video games also helps to create their own teaching style and increase their renown within their school. Observation of their lessons led to the questioning of the concept of gamification which sometimes fails to capture the reality of practices in situation. Indeed, in order to make video games part of the school curriculum, the teachers control the students’ play activity: to distance themselves from juvenile play practices and to reach their pedagogical objectives, the teachers intervene directly while the students are playing, by taking charge of, for example, the learning of the rules, and therefore reducing the students’ scope of action, and adding a written work component. However, this pedagogy of control varies according to the teaching contexts, the school subjects and the teaching style of the teachers. By providing a concrete description of the various teaching practices that make use of video games, this study also highlights the tensions between play activities and educational objectives. In addition, it goes beyond the question of video games alone and looks at the schooling of cultural practices. Like film, music or series, video games are often used to help impart knowledge from the syllabus. In other cases, it is studied as a cultural and artistic work that appeals to students’ aesthetics and requires scholastic prerequisites. This approach enables us to look at the different ways in which video games are received by students, depending on their own culture of video games, their level of education and the school social context. Hence, the use of video games in class shows the changing and increasingly complex nature of the teaching profession as well as the changing nature of the academic tasks required of students. The aim of this research is to qualify, even to go beyond the media, the institutional and industrial discourse on the educational potential of video games. "
URL : https://theses.hal.science/tel-04964996v1
mot(s) clé(s) : culture médiatique et numérique, ressources pour enseigner ou apprendre