La position scientifique de la France dans le monde et en Europe : Analyse de différents corpus de publications et de projets européens
Editeur(s) : Haut Conseil d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES)
Date : 12/2024
L’analyse de la position scientifique de la France s’appuie sur une diversité de données, concernant en particulier, les personnels de recherche, les publications, la participation aux projets européens en faveur de la recherche et certains classements internationaux des universités.
Les données de publications scientifiques permettent les observations les plus détaillées suivant différents axes d’analyse. C’est ce qui explique leur utilisation très large pour étudier les positions des pays ou celles d’institutions de recherche. La mobilisation des données de publications est cependant critiquée, soit parce que le périmètre retenu, ou corpus, ne couvrirait pas suffisamment la production d’un pays ou d’une discipline, soit, à l’inverse, car un corpus très large ne permettrait pas de comparer équitablement les pays anglophones et non-anglophones. Par ailleurs, l’augmentation du nombre de publications dans le monde au cours des années récentes a suscité des interrogations sur la mise en œuvre rigoureuse d’une évaluation par les pairs de la part de certaines revues.
Afin de contribuer aux débats sur la pertinence des analyses bibliométriques et les biais qu’elles peuvent présenter, le rapport observe la position de la France à partir de différents corpus : le corpus total, ou principal, compte environ 3 millions de publications annuelles dans le monde, un deuxième corpus est restreint aux publications en anglais et deux corpus plus sélectifs sont constitués d’ensembles de revues scientifiques. En outre, le rapport fournit quelques éléments de comparaison à partir de la base OpenAlex et de l’archive française HAL. L’analyse mesure la variation des indicateurs relatifs à la France selon le corpus considéré – que ce soit pour l’ensemble des disciplines ou pour certains champs de recherche. Elle est attentive notamment aux domaines des sciences humaines et sociales pour lesquels la question de la langue de publication revêt une importance particulière dans différents pays non anglophones.
La part des articles scientifiques de la France en anglais augmente et reste inférieure à la moyenne mondiale
Au cours des quinze dernières années, la part de l’anglais dans les articles scientifiques a continué de progresser, à l’échelle mondiale et dans la plupart des pays. Le phénomène est observé à partir de différentes bases de publications, même si la domination de l’anglais apparaît moins forte dans les corpus les plus larges. La part d’autres langues varie encore plus selon la base de données mobilisée.
Dans le corpus principal du rapport, au cours de la période récente, la France a une part d’articles non écrits en anglais un peu supérieure à 5 %, comme l’Allemagne, mais plus élevée que les autres pays européens à l’exception de l’Espagne. Cette part est aussi supérieure à celle du total des publications mondiales qui baisse au-dessous de 3 % au début de la décennie 2020.
Au sein des pays intensifs en recherche, la position de la France a reculé depuis 2010
A l’échelle mondiale, la France reste parmi les pays ayant les effectifs les plus élevés de chercheurs au sein des établissements d’enseignement supérieur et des organismes de recherche. Ces effectifs sont supérieurs en Allemagne et, dans une moindre mesure, au Royaume-Uni. Pour la période 2017-22, l’Italie et l’Espagne ont moins de chercheurs mais un nombre de publications un peu supérieur à celui de la France. Les Pays-Bas, la Suisse et la Suède ont aussi un nombre de publications qui apparaît élevé relativement à leur nombre de chercheurs.
Durant la première décennie des années 2000, les publications scientifiques de la France sont apparues relativement peu dynamiques, y compris en comparaison de certains autres pays intensifs en recherche. L’érosion de la part mondiale de publications de la France s’est poursuivie au cours de la dernière décennie. Entre le début et la fin de la décennie 2010, la part des publications de la France a baissé de d’un quart dans le corpus total, à 2,4 % en 2017-22, et d’un peu moins d’un quart dans le corpus anglais, à 2,3 %. Dans le même temps, la part des publications de l’Allemagne a baissé d’un sixième ; en 2017-22, elle est de 3,9 % du corpus total et 3,7 % du corpus anglais.
Au sein du corpus total des publications, le tassement des indicateurs d’impact scientifique de la France observé depuis le milieu de la décennie 2010 se confirme. En 2016-21, parmi les pays comptant le plus de publications, la Suisse, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les États-Unis ont des indicateurs d’impact 30 à 40 % au-dessus de la moyenne mondiale. Leurs résultats dans le décile des publications les plus citées sont encore un peu supérieurs. Sur les deux indicateurs, l’Allemagne, l’Australie, le Canada, l’Italie et la Chine se situent entre 10 et 30 % au-dessus de la moyenne, alors que la France est à la moyenne mondiale.
La position de la France varie selon les corpus de publications et selon les indicateurs
La position de la France varie selon les corpus mais aussi selon les axes d’analyse et les indicateurs considérés. Toutes disciplines confondues, une moindre couverture des publications françaises par un corpus sélectif, se traduit par une amélioration d’aspects qualitatifs approchés par les indicateurs de positionnement de la France.
En 2017-22, la part de la France est légèrement inférieure au sein du corpus anglais qu’au sein du corpus total mais, à 2,3 %, elle est supérieure à celles de l’Espagne et de la Russie, ce qui la place au 11ème rang des pays publiant le plus, alors qu’elle est 13ème dans le corpus total. La position de la France est encore plus favorable dans le corpus du décile des revues les plus citées : avec 2,7 % des publications mondiales elle se situe au 8ème rang, derrière l’Inde. Au sein du corpus particulièrement sélectif de cinq revues de mathématiques prestigieuses, la France a une position remarquable ; avec près de 14 % des articles, elle est au 2ème rang derrière les États-Unis, dont la part dépasse 41 %.
Au sein du corpus anglais, la France a un indice d’impact supérieur à la moyenne mondiale et supérieur à son indice dans le corpus total. L’amélioration des indices d’impact au sein du corpus anglais est plus forte pour différents domaines des sciences humaines et des sciences sociales. L’impact plus élevé des publications de la France mesuré dans le corpus anglais peut s’expliquer par différents facteurs. Les publications en anglais ont une plus large audience dans le monde et, étant plus lues, elles peuvent éventuellement être plus citées. Les publications françaises en anglais sont aussi plus souvent des copublications internationales, ce qui contribue à accroître leur audience. Ces facteurs peuvent se combiner à la parution dans des revues plus exigeantes et à des questions de recherche différentes, pouvant présenter un intérêt plus grand pour une audience internationale.
Dans le corpus des revues les plus citées, la part de la France est plus élevée que dans le corpus total, mais son indice d’impact calculé au sein de cet ensemble sélectif est inférieur : à 0,91, il est au niveau de l’Inde, derrière le Canada. De même, au sein du corpus encore plus sélectif des revues prestigieuses de mathématiques étudiées, la France est au 2ème rang pour le nombre d’articles mais au 7ème pour l’indice d’impact.
Les comparaisons internationales soulignent qu’en France les indicateurs des disciplines des sciences humaines et, dans une moindre mesure, des sciences sociales sont particulièrement sensibles aux corpus. Ainsi, alors que la France et l’Allemagne ont la même part de publications publiées dans une autre langue que l’anglais, celles-ci sont plus concentrées en sciences humaines et sociales (SHS) en France et, au sein de ces disciplines, dans certains domaines de recherche. Parallèlement, la part de la France dans le corpus des revues les plus citées est bien plus faible pour les sciences humaines (1,6 %) que pour le total des disciplines (2,7 %) ; l’écart est moins prononcé pour les sciences sociales. Cet écart en défaveur des SHS au sein du corpus des revues les plus citées ne s’observe pas pour l’Allemagne. Ainsi, le choix d’un corpus qui présente une couverture large des publications françaises ou d’un corpus plus sélectif a une importance plus grande s’agissant des disciplines SHS.
Le profil disciplinaire de la France est partiellement modifié en fonction des corpus
La France a un profil disciplinaire spécifique, différent de celui de la Chine et des pays émergents, mais aussi différent de celui des États-Unis et des pays européens intensifs en recherche. Ce profil disciplinaire identifié par des analyses précédentes est confirmé par ce rapport. Ainsi, les mathématiques restent la première discipline de spécialisation de la France, avec une part de ses publications 70 % plus élevée que celle de la discipline dans le total mondial, soit un indice de 1,7. Cette forte spécialisation se maintient, voire se renforce sur les autres corpus étudiés. Les autres disciplines de nette spécialisation, avec des indices de spécialisation de 1,2, sont la biologie fondamentale, la physique, les sciences de la Terre et de l’Univers, les sciences humaines. La spécialisation en biologie fondamentale et en physique se maintient sur les corpus sélectifs. En revanche, elle se tasse en sciences de la Terre et de l’Univers dans le corpus des revues les plus citées. Enfin, elle disparaît en sciences humaines, à la fois dans le corpus anglais et dans le corpus des revues les plus citées (l’indice passe de 1,2 à 0,7 ou 0,6). Le rapport montre néanmoins que, si la part de l’anglais dans les publications françaises reste la plus faible en sciences humaines, elle a fortement augmenté entre 2010 et 2022 (de 31 à 53 %).
A l’inverse, dans l’archive nationale HAL, sur le périmètre des articles de revues ou d’actes de conférences, les disciplines SHS sont fortement représentées. Une analyse des principales revues de publication dans HAL d’une part et dans le corpus principal étudié d’autre part souligne qu’elles sont souvent différentes.
Le profil disciplinaire des projets ERC de la France est cohérent avec celui de ses publications
Le profil scientifique de la France mesuré à partir des publications scientifiques est cohérent avec sa participation aux panels du Conseil européen de la recherche (ERC).
Les disciplines de spécialisation qui se maintiennent dans les corpus sélectifs de publications appartiennent au panel Sciences physiques et ingénierie de l’ERC, les mathématiques et la physique en particulier, les sciences de la Terre et de l’Univers dans une moindre mesure. Dans d’autres disciplines relevant de ce panel, la France a une spécialisation modeste ou neutre. Or, c’est dans ce panel que la France a les meilleures performances à l’ERC, que ce soit en matière de candidatures, de projets financés ou de taux de succès.
En sciences de la vie, les performances de la France sont à la moyenne de l’ERC pour les candidatures, les projets et le taux de succès. Cela correspond aussi au positionnement de la France tel qu’analysé à partir des publications pour l’ensemble constitué par la biologie fondamentale et la recherche médicale – la position en biologie appliquée-écologie étant plus variable selon les corpus.
Les performances de la France sont plus faibles dans le panel SHS de l’ERC, ce qui est cohérent avec les observations à partir des publications. La France est spécialisée en sciences humaines sur le corpus principal, mais pas en sciences sociales – qui représentent une part plus importante de publications dans le monde. En outre, la France n’est plus spécialisée en sciences humaines dans les corpus sélectifs analysés. De même, les indices d’impact des publications françaises en SHS sont souvent inférieurs à ceux des autres domaines disciplinaires. Ces indicateurs sont ainsi cohérents avec des candidatures relativement peu nombreuses dans le panel qui correspond aux SHS et un taux de succès plus faible.
Perspectives d’approfondissement sur des bases de publications ouvertes
Le rapport montre que la position scientifique d’un pays varie entre les corpus de façon différenciée selon les caractéristiques considérées – part mondiale de publications, rang, indices d’impact ou encore profil disciplinaire. Ainsi, alors que la France compte plus de publications dans le corpus le plus large, elle a une position moins favorable que dans les corpus sélectifs pour ce qui est du rang mondial ou d’indices d’impact. L’analyse a plus particulièrement porté sur la position de la France dans certaines disciplines et les comparaisons avec quelques pays européens. Elle pourrait être approfondie en s’appuyant sur des bases de publications différentes. Dans cette perspective, le développement de la base ouverte OpenAlex constitue une formidable opportunité dans la mesure où elle combine une couverture plus large que les bases historiques, tout en permettant des comparaisons internationales.
Les explorations de la base OpenAlex et la littérature bibliométrique qui en rend compte, comme les analyses à partir d’archives nationales telles que HAL, suggèrent que la mobilisation de cette nouvelle source de données devra se développer suivant deux axes complémentaires. Premièrement, une amélioration de la fiabilité des métadonnées des documents indexés dans OpenAlex. Elle est en cours et pourra bénéficier des efforts conjugués de OurResearch qui développe OpenAlex et de communautés d’utilisateurs. Ensuite, l’intérêt des analyses dépendra de la construction de corpus de publications scientifiques adaptés à des comparaisons internationales. Dans un contexte de développement de revues prédatrices, voire plus largement de publications qui ne suivent pas un processus d’évaluation par les pairs satisfaisant, il est en effet important que les corpus analysés précisent le périmètre de ce qui peut être considéré comme publication scientifique. Sur ce second volet, il sera utile de combiner les enseignements des pays qui ont élaboré des typologies de revues et une réflexion internationale. Si cette réflexion paraît plus simple pour les articles de revues et les actes de conférences, elle pourrait à terme aussi être développée pour les chapitres d’ouvrages et les ouvrages.
Lire aussi la synthèse.
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mot(s) clé(s) : évaluation, utilisation des recherches