Effets de l'utilisation des médias numériques à la maison par les élèves de l'éducation préscolaire sur leurs premiers apprentissages en lecture selon la médiation parentale, le milieu socioéconomique, la langue parlée à la maison et le sexe.
Auteur(s) : S. Collin, UQAM
Editeur(s) : Fonds de recherche du Québec
Date : 05/2020
L’éducation préscolaire constitue une étape-clé pour la compétence à lire. Il s’agit d’une période où se développent plusieurs habiletés langagières et cognitives, regroupées sous le vocable des « premiers apprentissages en lecture ». Les premiers apprentissages en lecture sont fortement prédictifs de la réussite en lecture ultérieure des élèves et sont influencés par des facteurs tels que la médiation parentale en lecture, le niveau socioéconomique, la ou les langue(s) parlée(s) à la maison et le sexe. Étant donné l’augmentation constante des médias numériques dans la vie quotidienne des élèves du préscolaire et l’exposition riche à l’écrit qu’ils offrent, il est possible de penser qu’ils pourraient constituer un facteur supplémentaire contribuant à prédire les premiers apprentissages en lecture. Aussi, ce projet a pour objectif général de mesurer les effets de l’utilisation des médias numériques à la maison sur les premiers apprentissages en lecture des élèves au préscolaire. Il est décliné en quatre questions de recherche (QR), qui ont pour but de préciser la relation entre l’utilisation des médias numériques et d’autres variables influentes des premiers apprentissages en lecture: quels sont les effets de l’utilisation des médias numériques à la maison sur le développement des premiers apprentissages en lecture selon la médiation parentale en lecture (QR1); le niveau socioéconomique (QR2); la ou les langue(s) parlée(s) à la maison (QR3); et le sexe (QR4)?
Les participants étaient 133 élèves de l’éducation préscolaire et leurs parents (un à deux représentants familiaux), dont 73 dans la région de Montréal et 70 dans la région de Sherbrooke. Bien que nous espérions initialement une représentation équilibrée des milieux scolaires favorisés et défavorisés, les milieux des familles participantes qui ont répondu à l’appel étaient d’une moyenne de 7.34 (sur une échelle allant de 1 à 10), donc avec une légère surreprésentation des milieux favorisés. La collecte de données a fait intervenir deux instruments: un questionnaire sur l’utilisation des médias numériques des élèves et leur profil sociodémographique, qui était destiné aux parents; des tests mesurant des habiletés spécifiques (connaissance des lettres, conscience phonologique, principe alphabétique) et non spécifiques en lecture (langage verbal, vocabulaire, conscience morphologique), destinés aux élèves. La collecte des données s’est déroulée au domicile des familles participantes. Le questionnaire et les tests des premiers apprentissages en lecture ont été administrés simultanément: alors qu’un chercheur administrait le premier aux parents, l’autre administrait le deuxième auprès de l’enfant.
Les résultats aux tests des habiletés spécifiques et non spécifiques en lecture ont permis de créer deux scores composites respectifs, après avoir validé statistiquement leur fiabilité interne (alpha de Cronbach). L’utilisation des médias a aussi fait l’objet d’échelles composites. Par la suite, une régression linéaire descendante a permis l’élaboration d’un modèle prédictif des habiletés spécifiques en lecture en retenant uniquement les variables significatives (F=6,44 ; α<,001), soit le niveau d’éducation des parents, les attentes parentales en lecture et la fréquence de visionnement de dessins animés et d’émissions. Pareillement, une régression linéaire descendante a permis d’élaborer un modèle prédictif des habiletés non spécifiques en lecture en retenant uniquement les variables significatives (F=6,81 ; α<,001), à savoir le nombre de livres numériques présents à domicile, la fréquence de lecture de livres papier, le milieu socioéconomique de l’école, la co-utilisation d’internet, la fréquence de visionnement de dessins animés et d’émissions sur médias numériques et la fréquence d’écoute de comptines ou d’histoires sur médias numériques.
En réponse à nos questions de recherche, les résultats indiquent que l’utilisation des médias numériques est globalement peu associée aux 1ers apprentissages en lecture. Quand elle l’est, elle influence ces derniers plus négativement que positivement. En effet, le nombre de livres numériques présents à domicile est le seul prédicteur positif des 1ers apprentissages en lecture. Il concerne les habiletés non spécifiques seulement et est peu fréquent chez les familles consultées (moyenne de 0.50 livres numériques par famille). En revanche, l’activité de loin la plus fréquente effectuée avec les médias numériques – regarder des dessins animés et des émissions – prédit négativement les 1ers apprentissages en lecture, tant sur le plan des habiletés spécifiques que non spécifiques en lecture. S’ajoutent également, pour les habiletés non spécifiques, la fréquence d’écoute de comptines ou d’histoires sur support médiatique et la co-utilisation d’internet, qui agissent tous les deux négativement. Il est donc possible de penser que l’utilisation des médias numériques est davantage défavorable aux 1ers apprentissages en lecture dans la mesure où les médias numériques sont peu utilisés pour des activités de lecture et que le temps passé à les utiliser serait du temps en moins qui pourrait être investi dans des pratiques de lecture. Ce point semble être corroboré par le fait que d’autres facteurs liés à la lecture mais pas aux médias numériques influencent positivement les 1ers apprentissages en lecture, tels que les attentes parentales en lecture (pour les habiletés spécifiques en lecture) et la fréquence de lecture de livres papier (pour les habiletés non spécifiques). Si l’utilisation des médias numériques est peu associée aux 1ers apprentissages en lecture et, quand elle l’est, influence plutôt négativement ces derniers, le niveau socioéconomique, quant à lui, est constamment associé aux habiletés spécifiques et non spécifiques en lecture, alors que le sexe et la langue parlée n’interviennent pas significativement. Ce dernier point rappelle un constat bien établi par ailleurs: avant et parallèlement aux pratiques familiales et scolaires de lecture, les inégalités sociales et scolaires jouent un rôle-clé dans l’explication de la compétence à lire des élèves.
Ces résultats appellent les implications pratiques suivantes:
#1: Développer chez les élèves des pratiques littératiques numériques grâce à des activités didactiques menées par les enseignants à l’école
#2: Sensibiliser les parents d’élève à l’utilisation des médias numériques pour accompagner leurs enfants dans le développement de pratiques littératiques à la maison
#3: Prendre en compte les inégalités sociales et scolaires par la mise en œuvre de politiques et des pratiques différenciées à l’école
#4: Donner à l’école les pleins moyens pour former tous les élèves aux pratiques littératiques numériques
#5: Favoriser un meilleur arrimage entre l’utilisation des médias numériques à la maison et les pratiques d’enseignement de la lecture à l’éducation préscolaire
#6: Maintenir et encourager les pratiques de lecture papier
Par rapport aux besoins de l’appel de propositions, ce projet s’inscrit dans le besoin 5.3. (Quels sont les effets de l’utilisation de dispositifs ou de contenus numériques sur l’émergence de l’écriture ou de la lecture de l’enfant de l’éducation préscolaire?) en se concentrant sur la lecture, qui est un enjeu fondamental du préscolaire. Ce projet multidisciplinaire se situe au carrefour de deux domaines d’expertise: la didactique de la lecture; le numérique en éducation.
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mot(s) clé(s) : littératie, compétences et pratiques langagières, petite enfance et pré-primaire (ou école maternelle), technologie éducative