Les valeurs de la connaissance - Colloque international et interdisciplinaire
Date : du 29-11-2023 au 29-11-2023
Appel à communications ouvert jusqu'au : 10-07-2023
Lieu : Université de Haute Alsace
Modalité : présentiel
Organisation : Laboratoire interuniversitaire des sciences de l'éducation et de la communication (LISEC)
Colloque organisé par l’équipe Normes & Valeurs du Laboratoire Interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication (LISEC UR 2310), et dans le cadre du GREM, à l’Université de Haute-Alsace
Programme :
Argumentaire
Qu’est-ce qui anime aujourd’hui les générations de nouveaux-venus, comme les nommait H.
Arendt, à mesure qu’elles fréquentent les bancs de l’école, des collèges et lycées, puis de
l’université ? Il serait sans doute intéressant de leur poser la question, ne serait-ce que pour
tenter d’appréhender le sens de ce qui se vit dans les espaces scolaires et universitaires, au-
delà d’une banalité quotidienne faite d’horaires, de devoirs et de verdicts du passage à l’année
suivante. Que l’institution scolaire se veuille un espace de socialisation et d’apprentissages,
où se perpétuent des rencontres avec différentes formes de savoir est une chose connue –
l’enfant la caractérise assez spontanément comme un endroit où l’« on » apprend – sans
d’ailleurs toujours se sentir concerné par ce « on ». Est-ce d’ailleurs véritablement ainsi que
tous ses acteurs la pratiquent et la vivent ?
Dans un article publié en 1994, Philippe Perrenoud remarquait que le désir de connaître
pouvait être paradoxal, en rappelant une différence anthropologique fondamentale entre le
désir du résultat et le désir du processus menant au résultat. Il s'inspirait en cela de Philippe
Meirieu (1989) : « tout le monde aimerait savoir, mais pas nécessairement apprendre », et « à
condition que les savoirs en question ne nous coûtent vraiment rien, ne nous engagent à rien,
ne nous fassent courir aucun risque, ne nous donnent aucun travail, ne nous prennent aucun
temps ». La disjonction entre ces deux désirs, pour troublante qu’elle fût d’un point de vue
logique, n’en est pas moins régulièrement constatée – un élève peut très bien assumer son
désir de savoir lire tout en ayant une répulsion pour les exercices jalonnant cet apprentissage,
quand bien même on lui explique le lien de causalité qui les unit. Si l’éclosion d’un désir de
connaissance ne coïncide pas nécessairement avec une volonté de s’engager dans les
apprentissages qui en sont le chemin, c’est donc sans doute du fait d’un calcul préalable, qui
renvoie chacun à la valeur qu’il attribue à la connaissance convoitée et en détermine ainsi
l’engagement, où il serait question de vouloir et d'aimer écouter avant de dire, de vouloir et
d'aimer apprendre avant d'enseigner, en cultivant une libido discendi (Go, 2014).
La question de la valeur de la connaissance se pose déjà pour l’élève et même l’étudiant : à
supposer qu’il souhaite savoir lire ou savoir jouer du piano, que vaut cette connaissance, en
tant que perspective d’aboutissement, au regard de la peine à endurer pour y parvenir – si
seulement il y parvient ? D’autant plus, ajoute par ailleurs Perrenoud (1994), que « tout savoir
ne nous apparaît pas une “plus-value d'être” ». D’une part, en effet, certains savoirs
inquiètent : « nos mécanismes de défense nous protègent de certains savoirs » (ibid.) ; d’autre
part, certaines formes de savoir semblent parfois susciter des formes de désintérêt, comme la
désaffection de certains amphithéâtres, et même de certaines formations où l’on ne s’inscrit
plus guère, le laissent penser. Faut-il y voir la conséquence de conclusions tacites quant à la
valeur de ces cours ou de ces cursus ?
Thématiques
Un premier axe de la réflexion pourra considérer cette question sous un angle
épistémologique : que répondre à la question de la valeur d’une connaissance ? Quels en
seraient les critères ? Y en aurait-il à privilégier et pourquoi ? On pourra aussi
envisager d’interroger les perceptions des élèves ou des étudiants : qu’est-ce qui
détermine à leurs yeux la valeur des connaissances qu’il leur est parfois demandé,
parfois proposé, parfois exigé d’acquérir ?
Un tel questionnement rencontre un autre prolongement au sortir d’une formation, lorsque
s’annoncent des transitions qui inspirent bilan et projection : Que vaut ce que je sais ?
Comment faire valoir ce que j’ai appris dans des univers professionnels labiles, souvent
éloignés des contextes de pure application des connaissances ? C’est au fond l’enjeu auquel
vont se confronter nombre d’étudiants à l’issue de leurs formations universitaires, quand se
profilent des démarches de recrutement où il est attendu de montrer que du « métier d’élève »
au métier envisagé, la conséquence est bonne.
En des temps où la déclinaison des connaissances en compétences devient un élément
récurrent des préconisations institutionnelles, selon un critère qui semble assez décisif pour
déterminer la valeur des enseignements dispensés – voire pour déterminer si l’on peut parler
de « réussite » aux études – il y a peut-être une occasion de mettre en perspective
l’appréciation de la valeur des connaissances selon au moins deux types de finalités :
l’éducation ou la formation. Certes, écrit Dewey, « la valeur de la connaissance est
subordonnée en fin de compte à son utilisation dans la pensée » (1983, p. 186), ce qui fait
qu’elle est alors à la discrétion de chacun ; mais on peut aussi être convaincu que « la valeur
d’une connaissance se mesure à ce dont elle nous délivre » (Lorvellec, 2001, p. 7), de sorte
que sa mise à profit par la pensée demeure elle-même sujette à diverses interprétations. Pour
certains, la question sera de savoir si ce qu’ils ont appris a contribué à les faire grandir en
humanité ; pour d’autres, il s’agira de mesurer à quel point ce qu’ils ont appris a pu les trans-
former, les disposer à adopter une forme qui permet d’espérer habiter une posture et d’aborder
un exercice professionnel.
Un deuxième axe pourra ainsi porter sur les enjeux éthiques du problème de la valeur
de la connaissance. Peut-on estimer par exemple qu’il y a une responsabilité morale de
l'enseignant à mettre ses étudiants sur la voie de cette réflexion – en particulier à des fins
professionnelles ? Faut-il au contraire considérer que la morale du professeur (Prairat,
2013) devrait lui faire exclure d’introduire ce débat, qu’il ne lui appartiendrait pas
d’ouvrir (rien n’imposant de statuer sur la valeur des savoirs enseignés) et qui pourrait
se révéler une « Boîte de Pandore », en entérinant un rapport utilitariste à la connaissance,
propice à toutes formes de calcul, y compris selon des critères de
rentabilité ? À moins de penser que réfléchir avec l’élève à la valeur des savoirs
enseignés relève d’une quête de sens, alors indispensable à toute pédagogie soucieuse de
faire s’émanciper des apprenants.
L’enseignant et le chercheur sont eux-mêmes amenés à se demander ce qui mérite d’être dit,
ce qui vaut d’être transmis, ce qu’il serait le plus important de connaître, n’ayant ni le temps
ni la possibilité de tout dire. Au moment d’évaluer les connaissances des élèves
(étymologiquement ex-valuere, faire ressortir la valeur de quelque chose), il faut trouver
comment favoriser l’expression d’un certain niveau de maîtrise des connaissances – le choix
de la forme évaluative étant lui-même normatif. Alors que selon les conclusions d’une étude
de la Fondation Jean-Jaurès, 20 % des jeunes interrogés, âgés de 18 à 24 ans, estimeraient que
« la science apporte à l’homme plus de mal que de bien », ce qui tendrait à niveler les valeurs
entre science, opinion, croyances, et qu’un certain nombre de filières sont fermées ou
menacées de fermeture du fait d’effectifs insuffisants, il faut se rendre à l’évidence : la
question de la valeur des connaissances se décline également à différents niveaux politiques.
Un troisième axe de réflexion pourra venir questionner ou même mettre en tension la
problématique de la valeur des savoirs à l’aune des différentes facettes d’un projet
société : comment restaurer, refonder le rapport des citoyens aux savoirs ? Si, comme
l’écrivent Laval et al., « les catégories avec lesquelles il faut désormais penser la
connaissance, que les dispositifs institutionnels et les normes pratiques qui régulent et
administrent sa production et sa diffusion relèveront de l’objectif général de la valorisation
économique « (2012, p.11 sqq), faut-il se résoudre à ce que l’économie fasse (et défasse) la
politique scientifique sans toucher aux fondements de la démocratie – mais aussi de la
souveraineté des États, comme la récente pandémie l’a souligné, en mettant en exergue
la dépendance dans la fabrication d’antidotes ? Faut-il chercher à sanctuariser la
connaissance par rapport aux réalités et aux discours économiques, ou bien faut-il
intégrer ces réalités à la défense d’un savoir scientifique qui constituerait alors une
forme d’investissement ?
La connaissance relie des générations humaines, à travers le temps et au-delà des cultures.
Elle se constitue comme le patrimoine d’une quête immémoriale et témoigne d’une réalité
humaine faite d’inspirations, d’erreurs, de découvertes, de vérifications, d’antithèses, selon
une dialectique historique qui se transmet par l’éducation et se perpétue. Si ce caractère
patrimonial, anthropologique propre à la connaissance la rendent en soi précieuse, ne peut-on
entreprendre comme le suggérait en son temps Nietzsche, d’inventer de nouvelles valeurs et
de repenser celles au prisme desquelles nous jugeons de ce que vaut la connaissance ? Ce
serait peut-être le rôle d’une prospective philosophique et d’un quatrième axe de
réflexion pour ce colloque que de proposer d’autres possibilités pour apprécier la valeur
des connaissances, en s’efforçant de penser d’autres formes de valorisation des savoirs
pour rendre à l’entreprise du savoir un sens non pas disparu, mais qui a tendance à se
perdre de vue dans des époques traversées par un « scepticisme blasé ».
Modalités pratiques :
- Le colloque aura lieu en présentiel, à l’Université de Haute-Alsace, le mercredi 29 novembre 2023.
- Les interventions retenues ne devront pas excéder 20 minutes.
- Les propositions de communication préciseront l’axe choisi pour l’intervention et comporteront un titre, un résumé de 10 lignes ainsi qu’un CV biobibliographique de 5 lignes.
Elles sont à remettre jusqu’au 10 juillet 2023 à l’adresse : colloquevalco@gmail.com
Les notifications d’acceptation seront communiquées au 1 er septembre 2023.
mot(s) clé(s) : normes et valeurs éducatives