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Enfances du langage et langages de l'enfance. Socialisation plurielle et différenciation sociale de la petite enfance scolarisée


Auteur(s) :  MONTMASSON-MICHEL Fabienne

Date de soutenance :  2018

Thèse délivrée par :  Université de Poitiers

Section(s) CNU :  section 19 : Sociologie, démographie

Sous la direction de :  Gilles MOREAU & Mathias MILLET

Jury de thèse :  Stéphane BONNÉRY ; Sylvia FAURE ; Sandrine GARCIA ; Wilfried LIGNIER ; Mathias MILLET ; Gilles MOREAU

 

"À la fin du XXe siècle, l'école maternelle française est devenue l'école du langage pour toute une tranche d'âge, la petite enfance scolaire, afin de réduire les inégalités scolaires devant l'école. Or le langage, tout comme l'enfance, ne sont pas uniques et uniformes car ils sont socialement variables. La thèse interroge le primat du langage à l'école maternelle d'un double point de vue. Comment des enfances socialement différenciées sont-elles saisies par la norme du langage scolaire, un langage inscrit dans la culture écrite ? Quels sont les langages de l'enfance et quels rapports entretiennent-ils ? En prenant pour objet les primes socialisations langagières, la thèse étudie la socialisation plurielle et la différenciation sociale de la petite enfance scolarisée. L'analyse socio-historique montre que le primat du langage à l'école maternelle vient d'une attention sociale au jeune enfant. Après s'être portée sur son corps fragile, elle a investi ses productions symboliques, révélées par une « science de l'enfant » ethnocentrique. Progressivement, le jeune enfant devient un « objet culturel ». Au XIXe siècle, ce processus se situe dans les fractions instruites et dominantes de la bourgeoisie et de l'aristocratie, et les femmes de ces milieux investissent la petite enfance. Une première pédagogie du langage s'invente, au moins idéalement, dans l'école maternelle de la IIIe République qui voulait former un citoyen raisonnable. Mais c'est dans la deuxième moitié du XXe siècle que le langage devient une question scolaire, quand le problème social de l'« échec scolaire » surgit avec la massification. Un champ d'intervention professionnelle se constitue et impose des contenus et des pratiques légitimes. Entrepreneur de la littératie précoce, il véhicule les normes pédagogiques et les attentes de la bourgeoisie cultivée autour d'un « client idéal » : une définition élitiste du jeune enfant, qui présuppose son autonomie politique et cognitive. L'enquête ethnographique décrit des primes socialisations plurielles à la rencontre de plusieurs instances et leurs produits socialement différenciés : l'acculturation scolaire, la socialisation entre pairs, les socialisations familiales, la culture matérielle et symbolique de l'enfance (i. e. culture ludique et fictionnelle, culture graphique, alphabétique et lectorale, « traditions scolaires », culture légitime). Elle dévoile comment l'inégale distribution de ces produits langagiers structure des rapports sociaux (de classe et de genre) entre enfants au croisement de l'acculturation scolaire et d'un langage entre pairs. Elle reproduit la structure sociale. L'enquête conclut à une reconfigura-tion des fonctions différentielles de l'école maternelle : autour d'un curriculum réel, duquel une partie des milieux populaires est proche, et d'un curriculum caché, secondarisé, présupposant la réflexivité. Celui-ci est l'apanage des milieux dotés en ressources scolaires et l'objet légitime du champ d'intervention professionnelle de la littératie précoce. Finalement, la thèse montre que la priorité accordée au langage à l'école maternelle au nom de la réduction des inégalités scolaires perpétue la domination scolaire. Elle se réalise par la domination pédagogique que les entrepre-neurs et les entrepreneuses de normes exercent sur les agents des primes socialisations."

Language's childhoods and childhood's languages. Plural socialization and social differenciation in schooled early childhood.

At the end of the 20th century, the French nursery school has become the school of language for a whole age group, early childhood, in order to reduce school inequalities. However, both language and childhood are not unique and uniform because both of them are socially variable. This thesis questions the primacy of language in the nursery school from a double point of view: how do norms of school language, i.e. early literacy, affect children from socially different backgrounds? What are childhood’s languages and how are they connected? By taking language socialization as a research object, this thesis studies the plural socialization and social differentiation in schooled early childhood. The sociohistorical analysis shows that the primacy of language in nursery school came from social attention towards the young child. After having studied his fragile body, it invested his symbolic productions, revealed by an ethnocentric “science of the child”. Gradual-ly, the young child becomes a “cultural object”. Over the 19th century, this process took place in the educated and dominant parts of the upper class and the aristocracy. Women from these social groups took a close interest in early childhood. A first pedagogy of language was invented, at least ideally, in the Third Republic’s nursery school which aim was to bring up a reasonable citizen. But over the second half of the 20th century, language became a school issue, when the social problem of “school failure” appeared with mass schooling. A professional intervention field of early literacy was formed and imposed contents and norms for legitimate practices. Those early literacy entrepreneurs convey the educational standards and expectations of the cultivated middle class towards an “ideal customer”: by the elitist definition of a young child as someone with pre-supposed political and cognitive autonomy. The ethnographic inquiry describes plural socializa-tion involving several instances together and their socially differentiated products: school accul-turation, socialization among peers, family socializations, children material and symbolic culture (i.e. playful, fictional, graphic, alphabetical and reading culture, “school traditions”, legitimate culture). It reveals how the unequal distribution of these language products structures social rela-tions (both class & gender) between children at nursery school, at the crossroads between school acculturation and peer language. It reproduces social structure. The study concludes that the dif-ferential functions of nursery school are structured around both a real curriculum, (which part of the working class is comfortable with), and a hidden reflexive curriculum, (i. e. as a principal of extended literacy). This latter one belongs to social groups with education resources (i. e. middle class) and is the legitimate object of the professional intervention field in early literacy. Finally, the thesis shows that language established as a priority in order to reduce school inequalities actually perpetuates school domination. It happens through the pedagogical domination imposed by the norms entrepreneurs on the early language socialization’s agents.



URL :  https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02462031/document


mot(s) clé(s) :  inégalités, petite enfance et pré-primaire (ou école maternelle), sociologie de l'éducation