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Pays : France  Langue(s) : anglais, espagnol, français 

Les politiques éducatives à l'ère du « partenariat »


Date :  du 28-06-2018 au 29-06-2018

Lieu :  Université Jean Monnet de Saint-Etienne 10, rue Tréfillerie, Saint-Étienne, France (42)

Organisation :  Université Jean Monnet-Saint-Étienne - Université Lumière-Lyon 2

La notion de « partenariat » s’est, depuis quelques décennies, imposée comme une des formes les plus légitimes pour (re)penser la division du monde social et les oppositions qui le structurent. Elle reflète en même temps qu’elle contribue à produire une remise en cause des clivages traditionnels à l’origine de notre perception du monde. L’approche « partenariale » se propose de concilier les contraires : le public et le privé, le global/national et le local, les pays riches et les pays pauvres, les professionnels et les profanes, etc. Elle prétend rapprocher ce qui est séparé : les États, les services de l’État, les différents niveaux de prise de décision politique, les secteurs administratifs, les institutions, le marché, les disciplines, les professions, les « habitants », etc. L’objectif de notre colloque est de contribuer à une meilleure connaissance de ces politiques éducatives « partenariales » en interrogeant leur genèse et leurs effets en France comme à l’étranger.

Comité scientifique

  • François Baluteau (PU, ECP, Lyon 2),
  • Claire Autant-Dorier (MCF, CMW, Saint-Etienne),
  • Daniel Frandji (MCF, Triangle, ESPE/Lyon1),
  • Kirstin Kerr (Senior Lecturer, Université de Manchester),
  • Thierry Michalot (MCF, ECP Saint-Etienne),
  • Stanislas Morel (MCF, ECP, Saint-Etienne),
  • Jean-Paul Payet (PU, Satie, Université de Genève),
  • Manon Pesle (MCF, ECP, Saint-Etienne),
  • Valérie Sala-Pala (PU, Triangle, Saint-Etienne),
  • Nicolas Sallée (Professeur, Université de Montréal),
  • Sally Power (Professeure, Université de Cardiff),
  • Aina Tarabini (Professeure, Université autonome de Barcelone).

Organisé par le laboratoire Éducation, Cultures, Politiques (Université de Saint-Etienne / Lyon2)



Programme : 

L’approche « partenariale » s’est notamment imposée, en France comme à l’étranger, comme le référentiel (Muller, 2000) de nombreuses politiques publiques qui visent à « décloisonner » l’action publique en favorisant le rapprochement entre des entités habituellement enclines à s’ignorer, voire à s’opposer : administrations (nationale et locale), secteurs, professions, institutions, associations, groupes sociaux, etc. Dans un contexte d’austérité et de réduction des financements publics, ce type de démarche « transversale » se fixe pour objectif de contribuer à un accroissement de l’efficacité des politiques publiques grâce à la coordination de l’action des « partenaires » engagés dans un même secteur d’activités. Les politiques éducatives n’échappent à cette mode du partenariat. En France, avec la création des politiques d’éducation prioritaire au début des années 1980, puis dans le cadre de la Politique de la Ville, les politiques et les dispositifs « partenariaux » se sont multipliés (École ouverte, Veille éducative, Contrat éducatif local, Projet éducatif de territoire, Réussite éducative, Rythmes scolaires, etc.). La lutte contre le décrochage, l’échec scolaire ou la délinquance juvénile, les politiques de promotion de la santé, l’organisation des temps éducatif (scolaires et périscolaires) supposeraient, pour être efficace, la collaboration, d’une part, de l’Etat et des collectivités territoriales, d’autre part, des disciplines scientifiques concernées et, enfin, voire surtout, des institutions, des professionnels impliqués (enseignants, professionnels du soin, travailleurs sociaux, etc.) et des populations cibles elles-mêmes (parents, enfants érigés eux aussi en « partenaires »). A l’étranger (Royaume Uni, Suède, Canada, etc.), les politiques locales partenariales se sont aussi développées, notamment dans le cadre de politiques ciblant des populations « vulnérables » et visant à dépasser l’opposition entre logique d’assistance mise en œuvre par l’État providence et logique de marché. L’objectif de notre colloque est de contribuer à une meilleure connaissance de ces politiques éducatives « partenariales » en interrogeant leur genèse et leurs effets en France comme à l’étranger.

Axes thématiques
Quatre axes de travail peuvent être envisagés.

1. Genèse des dispositifs partenariaux dans le domaine éducatif

Un premier axe de travail porte sur la genèse de ce type de politiques éducatives. Dans le domaine de l’enfance « à problème », leur existence est avérée, en France, dès les années 1940 lors de la mise en place d’une politique publique en faveur de l’« enfance inadaptée » (Chauvière, 1980 ; Morel, 2010). La pluridisciplinarité s’impose ainsi, en France, dès la fin des années 1950 comme la forme la plus légitime d’organisation du travail dans le secteur médico-social. La prégnance du modèle d’organisation « partenarial » a cependant été considérablement renforcée depuis le début des années 1980, lors de la première vague de décentralisations et de la mise en œuvre de la politique de la Ville (Avenel, 2013 ; Donzelot, Estebe, 1994 ; Autes, 2004) et des premières politiques d’éducation prioritaires. On assiste depuis lors à une transformation de l’action publique : déclin du modèle de l’État interventionniste et planificateur ; multiplication des politiques éducatives « locales » ou « territoriales » (Demeuse et al, 2011 ; Frandji & Morel, 2017 ; Ion, 2005 ; Laforets, 2016 ; Loncle, 2011 ; Netter, 2015 ; Pesle, 2016) mises en œuvre par les services déconcentrés de l’État ou par les collectivités territoriales (Bezes, 2005 ; De Maillard, 2000 ; Duran, 2010 ; Thoenig & Duran, 1996). Cette manière de penser l’intervention de l’État a conduit à la multiplication des dispositifs éducatifs « partenariaux » (Barrère, 2013 ; Couronné, 2016 ; Goirand, 2012 ; Laforets, 2016 ; Verba, 1999 ; Voléry, 2008), le plus souvent mis en œuvre par les collectivités territoriales (à commencer par les communes, cf. Pesle, 2016). Elle s’est aussi accompagnée de la production et de la diffusion d’un nouveau lexique managérial (« gouvernance », « partenariat », « décloisonnement », « pluridisciplinarité », « transversalité », « réseaux », « approche globale », « approche participative », « diagnostic partagé », etc.). L’action de l’administration (locale ou nationale) est désormais évaluée en fonction de sa capacité à aller à l’encontre des logiques de clôture à l’œuvre dans de nombreux groupes sociaux ou institutions et, à l’inverse, à faire converger les « énergies » et les « compétences » des « acteurs » autour d’un projet « fédérateur ». Nous attendons des communications qu’elles retracent la genèse et les transformations du paradigme partenarial dans le domaine des politiques éducatives et qu’elles analysent la reconfiguration des rapports entre les différents acteurs de l’action publique dans le cadre de ces politiques partenariales. Il serait également intéressant d’étudier la genèse de ces politiques en fonction des domaines/secteurs ou des publics ciblés (échec scolaire, éducation à la santé, scolarisation des enfants en situation de handicap, éducation artistique, protection de l’enfance, insertion sociale). Les politiques partenariales sont-elles élaborées et mises en œuvre de la même façon dans ces différents domaines ou peut-on observer des déclinaisons du paradigme partenarial ?

L’enjeu de colloque international est aussi de comparer la situation française à celle d’autres pays (comme la Grande-Bretagne, la Suède, la Belgique ou le Canada), dans lesquels l’approche partenariale (partnership, multi-agency work, cross sectorial policy, joined-up policy) s’est imposée depuis plus longtemps et a été déjà largement étudiée.

2. Les représentants de l’esprit « partenarial » : une improbable alliance ?

Quels acteurs ou groupes sociaux promeuvent l’idée d’un nécessaire décloisonnement de l’action publique ? Quels sont les registres qu’ils mobilisent pour légitimer la nécessité du « partenariat » ? Tant la diversité des groupes impliqués que l’articulation de leurs discours et de leur action gagnent à être étudiées. La revendication d’une démarche partenariale mise en œuvre au niveau local, s’inspirant de la critique de l’État issue du nouveau management public (Damon, 2002) et d’une logique de projet caractéristique d’un nouvel esprit du capitalisme (Boltanski, Chiapello, 1999), a rencontré, en France, les aspirations déjà anciennes des militants de l’éducation populaire (Chateigner, 2012) et, plus généralement, des acteurs exerçant dans le domaine éducatif en dehors de l’école (à commencer par les travailleurs sociaux). Ces derniers réclamaient en effet depuis longtemps la mise en œuvre d’une « éducation partagée » ou d’une « co-éducation » entre les différents acteurs impliqués dans le domaine éducatif (parents, enseignants, travailleurs sociaux – cf. Bourques, 2017 ; Dumes, 2001 -, etc.), dénonçant par la même occasion l’hégémonie de l’institution scolaire dont ils réclamaient l’ouverture. Leurs revendications ont en partie trouvé satisfaction dans la récente réforme des rythmes scolaires (Frandji, Morel, 2017), censée établir les conditions d’un « partenariat » entre enseignants et professionnels du périscolaire, entre éducation « formelle » et « informelle ». Les pressions exercées par les mouvements d’éducation populaire ont été en partie soutenues par les associations de parents d’élèves qui, elles aussi, réclament de longue date la mise en œuvre d’une « co-éducation » dans le cadre d’une école qui leur soit davantage ouverte. L’approche partenariale au niveau territoriale a également été défendue par les partisans des différentes formes de démocratie participative soulignant l’intérêt de mobiliser l’ensemble des acteurs éducatifs dans la production des politiques publiques au niveau local. Elle a enfin été soutenue par certains segments des professions enseignantes.

Ce colloque pourrait être l’occasion de questionner la manière dont l’engagement dans la promotion des politiques publiques partenariales tend, en France comme à l’étranger, à neutraliser certains clivages traditionnels (gauche / droite, privé / public) et à favoriser le rapprochement entre des acteurs sociologiquement très différenciés (experts en gouvernance et représentants de l’éducation populaire par exemple) dont il s’agirait d’identifier les dispositions communes (rejet du centralisme, critique des institutions et du corporatisme, valorisation du « projet » et de l’innovation, dispositions anti-scolaires, etc.).

3. Les effets du « partenariat » sur le travail des professionnels et sur les politiques éducatives

Nouvelle catégorie d’intervention publique, le travail « en partenariat » s’est progressivement institutionnalisé. Il est désormais encadré par des lois ainsi que par des normes explicites et s’effectue dans le cadre de dispositifs animés par des « coordinateurs » dont les propriétés et l’action ont été jusqu’à présent peu étudiées (Janson, 2016 ; Laforets, 2006) – catégorie qui pourrait d’ailleurs faire l’objet de communications. Les « partenaires » se rencontrent régulièrement et leurs rencontres s’inscrivent dans un cadre de plus en plus défini. Or, ces sous-espaces sociaux d’un type particulier et les effets qu’ils produisent sur ceux qui y participent n’ont, pour l’instant, été que très peu étudiés. Ils constituent pourtant, à plusieurs titres, des objets particulièrement intéressants pour les sciences sociales. La participation à ces dispositifs doit d’abord être étudiée. Une première série de questions concernent les propriétés des participants et ce que l’on pourrait désigner comme leur « mode d’enrôlement ». La participation peut être contrainte, mais, elle peut aussi être moins contingente et les modes d’enrôlement doivent alors être étudiés. Qu’attend-on de ces dispositifs ? En quoi les propriétés sociales des participants (à commencer par leur profession) conditionnent-elles leur participation et les modalités de leur intervention ? Ces dispositifs fonctionnent-ils comme des instances de reconnaissance et de légitimation des points de vue qui y sont représentés ? Dans quelle mesure l’activité qui y est réalisée est-elle, à l’inverse, assimilée à un « sale boulot » qui éloigne du cœur de l’activité ?

Une des questions centrales posée par la participation à ces dispositifs est par ailleurs celle des effets de la confrontation entre professions ainsi qu’entre professionnels et profanes (à commencer par les parents). Les transformations de l’action publique ont donc eu des incidences non négligeables sur les relations entre professions et sur le travail des professionnels (De Maillard, Douillet, 2008 ; Demazière, 2013 ; Le Bianic, Vion, 2008). Les dispositifs « partenariaux » offrent un terrain d’enquête privilégié pour étudier de manière empirique ces confrontations ainsi que les stratégies différenciées des acteurs impliqués. Se confronter aux « partenaires » (professionnels, bénévoles, parents, etc.) peut être perçu comme une menace (perte d’autonomie, risque de voir son point de vue contesté, implication dans des activités secondaires, chronophages et non rémunérées) ou comme une opportunité (harmonisation des pratiques, développement d’un réseau de relations, possible conversion des « partenaires », extension du territoire professionnel) ? Quelles sont les modalités de la résistance (retrait, conflictualité, mise en avant du « secret professionnel »…) ou de l’incitation au travail en commun ? On attend des communications qu’elles interrogent les différents effets de l’institutionnalisation du « partenariat » dans le cadre des politiques publiques sur le travail des professionnels de l’éducation et sur le traitement des questions éducatives (Baluteau, 2017), notamment en fonction du type de dispositif partenarial mis en œuvre, des professionnels de l’éducation mis en relation et des modalités de participation des populations cibles. En multipliant les confrontations entre professionnels issus d’horizons variés (enseignants, professionnels du soin, responsables associatifs, travailleurs sociaux, artistes, sportifs, etc.), les dispositifs partenariaux sont, au moins potentiellement, des instances de socialisation professionnelle explicite ou implicite. Les participants y sont confrontés à une pluralité de manières d’envisager les « problèmes » qu’ils rencontrent et on peut s’interroger sur l’éventuelle hybridation de leurs pratiques qui en résulte et sur la manière dont cette hybridation affecte les politiques éducatives. Assiste-t-on à la prévalence d’un registre (médicalisation, psychologisation, scolarisation ou mise à distance des enjeux scolaires) ? La mise à distance de la conflictualité conduit-elle à une dépolitisation des questions éducatives (Nicourd, 2016), notamment par la construction d'un consensus à minima entre les acteurs ? L'incitation au « partenariat » lisse-t-elle, voire gomme-t-elle les rapports de force et les formes de domination entre acteurs, institutions et structures éducatives ?

Analyser les effets socialisateurs des dispositifs partenariaux suppose de comprendre le sens de la socialisation en mettant en évidence les modalités de hiérarchisation de ces espaces. Bien qu’une des justifications de l’approche « partenariale » soit l’instauration de rapports horizontaux entre « partenaires », ce volontarisme égalitariste ne permet pas à lui seul de niveler le poids de chacun des participants. D’autres variables, comme le sexe et l’âge, l'appartenance à certaines professions ou institutions, entrent également en jeu. Socialisation, hiérarchisation et structuration ont donc partie liée. L’analyse de la structuration de ces espaces « partenariaux » pose néanmoins un problème théorique. Comment s’établit la « valeur » relative des acteurs qui évoluent dans des univers de travail relativement différents ? Comment s’y établissent les états de grandeur (Boltanski et Thévenot, 1991) ? L’intériorisation de dispositions relationnelles (social skills, cf.Fligstein, Mc Adam, 2012) et la maîtrise des interactions propres à ces espaces (dénégation des rapports de force, « ouverture », diplomatie, disposition à la « traduction », cf. Callon, 1986) interfèrent-t-elles, par exemple, avec le « statut social » des professionnels impliqués tel qu’il se construit en dehors de ces espaces ? La présence de plus en plus fréquente de professionnels de la « coordination » (Goirand, 2014) induit-elle une organisation particulière des relations entre les participants ?

4. Quels outils conceptuels pour analyser le fonctionnement des espaces partenariaux ?

Un dernier axe de travail invite à questionner le fonctionnement des espaces partenariaux qui regroupent des individus issus d’horizons, de métiers différents. Comment analyser le rapprochement d’acteurs auparavant davantage isolés dans ces espaces partenariaux qui fonctionnent comme des zones frontières ? Ces espaces gagnent-ils être analysés comme l’intersection de « champs » ou en termes de « réseau » (Van Campenhoudt, 2012) ? Ou comme la convergence de « mondes » (Becker, 1988) (modèle de la coopération) ? Doivent-ils être appréhendés non pas comme des intersections ou des coalescences d’espaces autonomies, mais comme des espaces hétérogènes mais relativement autonomes dont il s’agit de penser le fonctionnement spécifique ? Quel est, dans cette perspective l’apport, des approches interactionnistes comme celle d’Andrew Abbott (1988), qui analyse les relations entre professions au sein d’écologies définies à partir d’un travail à réaliser ? L’usage de la notion de « lieu neutre » (Bourdieu, Boltanski, 1976 ; Bourdieu, 2000) est-il heuristique ? La logique de la « cité par projet » (Boltanski, Chiapello, 1999) rend-elle compte En quoi les travaux plus récents sur les « zones mixtes » (Pinell, 2012) ou les « champs d’intervention professionnelle » (Morel, 2010) contribuent-ils à renouveler l’analyse ? L’avènement du « partenariat » dans les politiques éducatives, à l’origine de formes d’organisation sociale ou de « gouvernementalité » (Foucault, 2004) relativement nouvelles et de l’institutionnalisation de sous-espaces sociaux regroupant des acteurs auparavant séparés, font-ils apparaître l’historicité des outils antérieurement forgés pour penser la division du monde social (Lemieux, 2011) et invitent-t-il à un renouvellement méthodologique et conceptuel ?

Modalités de soumission
Les propositions de communication sont attendues pour le 2 février 2018, de 3000 à 4000 signes. Elles devront préciser la méthodologie de recherche adoptée, le terrain mobilisé et les principales questions, voire les principaux résultats, qui seront présentés lors du colloque. Les propositions sont à envoyer à Stanislas Morel (stanislas.morel@univ-st-etienne.fr) et Manon Pesle (manon.pesle@univ-st-etienne.fr). Elles devront comporter les éléments suivants : le nom et les coordonnées du ou des auteurs (institution, adresse mail) et une bibliographie. Les propositions seront examinées par deux membres du comité scientifique. Communication des avis du comité scientifique le 9 mars 2018. Les textes des communications devront être envoyés avant le 1er juin 2018.



URL :  http://calenda.org/419147


mot(s) clé(s) :  politiques éducatives